
Par Kerry Doole
Frank Davies est largement considéré comme l’une des personnes les plus influentes de l’histoire de l’industrie musicale canadienne, une reconnaissance confirmée en 2014 par le Walt Grealis Special Achievement Award, décerné dans le cadre des prix JUNO.
Depuis son arrivée au Canada en 1970 après avoir quitté l’Angleterre, Davies s’est bâti une carrière dans divers domaines de l’industrie musicale, qu’il s’agisse de la création et de la direction de Daffodil Records, de la fondation ou de la direction de maisons d’édition musicale à succès (ATV Music Group Canada, The Music Publisher, Partisan Music Productions), de la production d’albums depuis les années 1970 jusqu’à, plus récemment, des albums comme If Your Memory Serves You Well, qui a permis à Serena Ryder de percer, et la création du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC). Pendant sa longue carrière, il a contribué au développement de nombreux artistes et auteurs-compositeurs canadiens. Au fil des ans, il a également établi des liens étroits avec l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (CMRRA). En se remémorant sa longue histoire avec la CMRRA, Davies exprime son admiration pour l’agence et son incidence à la fois sur son travail et sur l’industrie musicale canadienne dans son ensemble.
Davies a suivi de près l’agence depuis sa création en 1975 : « Parmi les directeurs fondateurs de l’agence figuraient plusieurs de mes collègues éditeurs de longue date, soit Al Mair, Cyril Devereux, John Bird ainsi que son frère, Bailey, Franco Colombo, Matt Heft, Bill Coombs, Doug Chesebrough et William “Bill” Brubacher. Je suis devenu client de la CMRRA dès mes débuts, lorsque j’ai lancé ma petite maison d’édition, qui faisait partie du groupe Daffodil, et la CMRRA représentait nos droits. »
À l’époque, Daffodil signait et produisait des albums et des singles d’artistes canadiens tels que Crowbar, King Biscuit Boy, Tom Cochrane, A Foot in Coldwater, Klaatu et Fludd. Au fil des années, Davies a représenté une liste impressionnante d’auteurs-compositeurs, auteures-compositrices et artistes canadiens, notamment Murray McLauchlan, Honeymoon Suite, Ron Hynes, Alfie Zappacosta, Ian Thomas/The Boomers, Hagood Hardy, David Tyson, Eddie Schwartz, Jane Siberry, Aldo Nova, Dan Hill, Toronto, Bill Henderson/Chilliwack, les Headpins et bien d’autres. Il est toujours actif en tant qu’éditeur de musique, et compte parmi sa clientèle actuelle des artistes comme Nathan Ferraro (Beyoncé) et David Tyson (Alannah Myles).
En juin 1984, Davies a été élu au conseil d’administration de la CMRRA. Il y a siégé pendant dix-sept ans, dont quatre en tant que président, de 1992 à 1996. Il a aussi fait partie du comité exécutif de l’Association canadienne des éditeurs de musique (CMPA) de 1982 à 2000. « Il était tout à fait logique, souligne-t-il, que je m’intègre à la CMRRA à ce moment-là, car je dirigeais à la fois ATV Music Group, un grand éditeur musical au Canada, et ma propre maison d’édition. De plus, j’étais membre du conseil d’administration de PROCAN, une société de gestion collective des droits d’exécution. Tout s’accordait bien. »
Frank Davies admet qu’il a appris sur le tas les rouages du métier d’éditeur musical lorsqu’il s’est affilié à la CMRRA : « J’ai été plongé directement dans le bain en commençant à travailler dans l’industrie du disque au Royaume-Uni, puis en créant ma propre maison de production au Québec. Heureusement, j’ai vite compris que je devais m’occuper moi-même de l’édition des enregistrements. Sans cela, il m’aurait été impossible de survivre aussi longtemps avec un label indépendant. » Son mandat au sein du conseil d’administration, y compris son rôle de président, a coïncidé avec une période de forte croissance et de défis majeurs pour l’agence.
Il évoque Cyril Devereux et David Basskin comme des figures clés de la CMRRA. « Devereux était vraiment quelqu’un d’extraordinaire, affirme-t-il. En tant que premier directeur général de la CMRRA, il a aidé David Basslin à naviguer dans ses premières années, lui transmettant ses connaissances sur les droits mécaniques, les droits mécaniques de diffusion et d’autres domaines gérés par la CMRRA. »
Le vieux routier a également fait partie du comité de sélection qui a choisi David Basskin pour occuper le poste de directeur général et PDG en 1989. « En 1989, lorsque Paul Berry a démissionné pour s’établir en France, le conseil nous a confié la tâche de lui trouver un remplaçant, se rappelle-t-il. La recherche de la personne parfaite pour diriger la CMRRA, dans un paysage musical en pleine évolution, compte tenu de ses relations fragiles avec les “majors” de l’industrie du disque, a été un moment décisif pour l’organisme. Nous cherchions quelqu’un qui possédait une expérience et des connaissances approfondies pour assumer un rôle beaucoup plus vaste. Après avoir rencontré de nombreuses personnes provenant de divers milieux, notre choix s’est porté sur David Basskin, un avocat spécialisé dans le domaine de la radiodiffusion. Ce choix a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la CMRRA. L’arrivée de David a été un véritable tourbillon. Les temps étaient difficiles. Les maisons d’édition et l’industrie musicale étaient à couteaux tirés. C’était conflictuel, voire antagoniste. »
Davies, grâce à son expérience des deux camps, voyait les deux côtés de la médaille : « Les maisons de disques disaient : “Nous investissons tout cet argent dans le développement d’artistes pour que vous puissiez en récolter les fruits.” C’était parfois le cas, mais pas toujours. De toute façon, les éditeurs remplissaient une fonction administrative importante que personne d’autre dans l’industrie musicale ne comprenait. Comme je venais du monde du disque et de la production, j’ai pu m’engager activement dans le développement des auteurs-compositeurs, auteures-compositrices et artistes. Je comprenais le point de vue des éditeurs et les efforts qu’ils déployaient, qui allaient bien au-delà des tâches administratives. »
« Les bons éditeurs, de confier Davies, développent globalement la carrière des artistes en coulisses, en mettant les auteurs ou autrices en relation avec d’autres auteurs, autrices ou artistes, en produisant des démos, en organisant des showcases et en finançant tous les aspects de leur carrière. À la fin des années 1980, lorsque Basskin est arrivé, plusieurs éditeurs canadiens travaillaient activement au développement des artistes et des auteurs-compositeurs et auteures-compositrices, les guidant vers des labels. »
Le taux de redevance mécanique versé aux éditeurs de musique et aux auteurs-compositeurs et auteures-compositrices a été l’un des enjeux majeurs du mandat de Davis à la CMRRA :« Quand je suis arrivé, le taux de redevance mécanique était le plus bas du monde occidental, à deux cents par face d’un disque vinyle, avec théoriquement cinq ou six chansons par face, réparties entre ces deux cents. Cela a finalement conduit à la création du slogan “Two Cents Too Long !”, lancé par les éditeurs en collaboration avec leurs auteurs. »
Une coalition d’éditeurs de musique et d’auteurs-compositeurs et d’auteures-compositrices de premier plan a exercé des pressions sur Ottawa, ce qui a entraîné une hausse progressive du taux. « Le modèle américain a contribué à cette évolution », poursuit-il, soulignant que les Américains avaient plus de pouvoir en raison de la taille du marché et de leur influence.
Une autre préoccupation majeure de Davies était celle de la clause de composition contrôlée, créée par CBS Records. « Cette clause réduisait considérablement les revenus des éditeurs et de leurs auteurs et autrices, incitant les artistes à signer avec un label qui ne leur versait alors que 75 % d’un taux déjà faible, qui pouvait même tomber en dessous de 50 % », rappelle Davies. Il se souvient d’un moment marquant de son passage à la CMRRA et à la CMPA (Association canadienne des éditeurs de musique) : la réunion conjointe des conseils d’administration de la CMPA/NMPA (National Music Publishers Association), de la HFA (Harry Fox Agency) et de la CMRRA à Toronto. « Ce fut un événement unique et exceptionnel pour la CMRRA et la communauté canadienne des éditeurs de musique. La présence de grands éditeurs américains à cette rencontre était une marque de respect qui exposait l’importance des auteures-compositrices et auteurs-compositeurs canadiens ainsi que celle de notre petit marché. »
M. Davies se souvient également avec émotion de l’événement « A Celebration of Songwriters », créé en 1985 par Greg Hambleton de Peer Southern (aujourd’hui peermusic), qui récompensait les chansons les plus lucratives dans plusieurs genres musicaux : « Cet événement s’est tenu pendant plusieurs années, celui de 1988 se démarquant particulièrement, car il s’agissait d’une année charnière pour les droits d’auteur dans le domaine de la musique canadienne. Bien que Greg et l’Association canadienne des éditeurs de musique aient lancé l’idée, le soutien financier de la CMRRA a été essentiel à son succès. »

Compte tenu des contributions significatives de Frank Davies à la CMRRA et à l’Association canadienne des éditeurs de musique, il est tout à fait logique que ces deux organismes aient pu, à leur tour, apporter une aide considérable à un projet qui lui tenait particulièrement à cœur, le Canadian Songwriters Hall of Fame/le Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC), un organisme à but non lucratif. Créé par Davies en 1998, le PACC, aujourd’hui un maillon très important de l’industrie musicale canadienne, constitue sa plus grande réalisation.
Davies a pris conscience de l’importance de fonder une institution pour célébrer les auteurs et autrices canadiens, anglophones et francophones. Il a donc investi à la fois de l’argent et d’innombrables heures pour lancer le Panthéon : « Lorsque j’ai créé le PACC, j’ai rencontré l’Association canadienne des éditeurs de musique et lui ai demandé de doubler ma contribution initiale. Tous les membres ont fait de même, puis la CMRRA est entrée en jeu et a doublé ces fonds ! Cela nous a permis de former un conseil d’administration, d’obtenir une marque déposée, de rédiger des statuts, d’embaucher un directeur exécutif et de prendre les mesures nécessaires pour organiser notre premier gala. »

Ce soutien initial a poussé Davies à solliciter la collaboration des grandes maisons de disques canadiennes, ce qui a été facilité par ses relations avec les dirigeants de ces maisons : « J’ai présenté mon projet aux cinq dirigeants en leur disant : “Vous êtes les bénéficiaires du travail des auteurs-compositeurs et auteures-compositrices. Nous avons également besoin de votre soutien financier.” Le soutien des éditeurs et de la CMRRA nous a permis de convaincre toutes ces maisons de disques. »
Davies souligne que la collaboration entre les maisons de disques et les éditeurs a marqué un tournant dans l’alliance entre ces deux communautés. Elles ont pu trouver un terrain commun et évoluer en tant que partenaires et amies. Il rapporte que les maisons de disques se sont mobilisées pour le premier gala du CSHF/PACC en 2003 et qu’elles ont beaucoup apprécié l’événement. Gordon Lightfoot fut le premier intronisé, suivi par quelques auteurs-compositeurs franco-canadiens emblématiques. Cela confirme qu’il s’agit d’une institution à vocation entièrement bilingue et pancanadienne. En décembre 2011, la SOCAN a acquis le CSHF/PACC, qui continue d’être géré comme un organisme distinct.
Davies revient avec fierté sur le 50e anniversaire de la CMRRA : « Un tel anniversaire est une réalisation remarquable et un jalon significatif pour tout organisme, en particulier dans le domaine de la musique. Le 50e anniversaire de la CMRRA mérite vraiment d’être célébré. Le fait qu’il s’agisse également d’un organisme qui a joué un rôle important pour les différentes maisons d’édition que j’ai possédées ou dirigées pendant ces 50 années le rend encore plus pertinent et mémorable à mes yeux. »