
Par Tabassum Siddiqui
Vétérane de l’industrie, Jennifer Beavis a passé plus de 30 ans en première ligne dans un secteur musical en constante évolution, dont plusieurs années décisives à la CMRRA où elle a occupé le poste de gestionnaire des droits et du répertoire. Cette expérience lui confère une vision unique de la contribution de la CMRRA à l’occasion de son 50e anniversaire.
Actuellement directrice de la gestion des droits à BMG Canada, elle se souvient que sa carrière dans la musique a commencé lorsqu’elle est tombée amoureuse des Beatles, plusieurs années après la séparation du groupe britannique. Après avoir écouté l’album The Beatles Live at the Hollywood Bowl, Jennifer Beavis a immédiatement été séduite par cette musique et s’est plongée dans les moindres détails des notes de pochette.
Passionnée soudainement par la musique des années 1960, elle a découvert la station de radio CHEZ 106 FM d’Ottawa, qui diffusait le dimanche des émissions animées par un DJ spécialiste des artistes et des chansons de l’époque. « J’étais tellement captivée par toutes les histoires qui se cachaient derrière les chansons — ce qui, avec l’âge, m’a fait réaliser que cela m’intéressait autant que la musique elle-même », se souvient Mme Beavis.
« Le travail des auteurs-compositeurs me fascinait, tout comme tout ce qui en découlait, par exemple, apprendre que Paul McCartney avait sa propre maison d’édition et approfondir mes connaissances à ce sujet tout en m’intéressant à la musique. J’ai compris que je voulais en apprendre davantage sur l’aspect commercial en lisant des articles de Rolling Stone et d’autres magazines musicaux. »
Elle a ensuite poursuivi des études en communication et en sciences politiques à l’université, mais son intérêt pour l’industrie musicale est resté intact lorsqu’elle s’est installée en Angleterre. Bien qu’elle ait d’abord hésité à s’engager dans des études supérieures, elle a finalement décidé de s’inscrire au programme de deux ans en arts de l’industrie musicale du Fanshawe College. Son père avait lu un article à ce sujet dans le London Free Press.
« Je savais que c’était une bonne occasion, car c’était l’une des rares écoles de musique qui existait. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de programmes, mais à l’époque, Fanshawe était la référence. Beaucoup de ceux et celles qui y avaient étudié travaillaient dans l’industrie », précise-t-elle.
Terry McManus, fondateur de la Songwriters Association of Canada et gestionnaire artistique chevronné, donnait le cours d’édition musicale à Fanshawe et a pris Jennifer Beavis sous son aile. Il lui a présenté un contact chez BMG Music Publishing Canada, où elle a décroché un poste d’assistante à l’édition, d’abord pendant ses études, puis une fois son diplôme obtenu. Cette expérience formatrice a marqué le début d’une carrière dans l’édition musicale qui allait durer toute sa vie.
Elle a ensuite occupé un poste similaire chez EMI Music Publishing Canada, où elle était régulièrement en contact avec la CMRRA, ce qui lui a finalement ouvert de nouvelles perspectives.
« J’ai fait la connaissance de beaucoup de gens à la CMRRA à l’époque, car je traitais avec eux tous les jours. Ils ont vu mon CV et ont créé un nouveau poste pour moi afin que je les aide à mettre en place le service administratif », rappelle Mme Beavis, qui a occupé le poste de gestionnaire des droits d’auteur à la CMRRA de 1994 à 1998.
« Le mode de fonctionnement de la CMRRA a évolué depuis sa création. À l’époque, nous proposions des services distincts pour les droits d’auteur, les licences et les redevances. Aujourd’hui, grâce aux avancées technologiques, ces services sont beaucoup plus intégrés », précise-t-elle.
Après son passage à la CMRRA, elle a travaillé à Nettwerk Records, pionnier des labels indépendants, à la Songwriters Association of Canada et à la société musicale indépendante Ole, avant de revenir chez BMG en 2013, où elle travaille toujours aujourd’hui.
« Je supervise l’ensemble de notre secteur de l’édition pour le Canada. La raison pour laquelle vous voulez avoir quelqu’un sur le terrain, c’est parce qu’il a les relations nécessaires. Et c’est ce qui fait ma force : les relations que j’ai développées tout au long de ma carrière, explique-t-elle. Je crois donc que les gens ont acquis cette confiance : “ Bon, Jen m’appelle à ce sujet, c’est qu’il y a certainement un problème à résoudre.” Je m’occupe des questions de droits d’auteur et la majeure partie du travail pratique s’effectue à Nashville, ce qui est logique. Toutefois, il y a des domaines dans lesquels je peux intervenir précisément parce que je connais la loi canadienne sur le droit d’auteur, contrairement aux Américains.
C’est là que mon expérience à la CMRRA entre en jeu, car j’y ai appris les différences entre les lois américaines et canadiennes sur le droit d’auteur. Nous aidons ainsi notre clientèle à répondre à ces questions et à en comprendre les subtilités », souligne-t-elle.
Jen Beavis consacre la majeure partie de son temps à assurer le suivi des redevances. C’est la raison pour laquelle elle continue de collaborer étroitement avec la CMRRA. Elle a ainsi pu observer de ses propres yeux son expansion et son développement au fil des 50 dernières années.
« Avec la CMRRA, les préoccupations sont souvent liées au catalogue : l’avez-vous perdu ? L’avez-vous gagné ? Que s’est-il passé ? C’est agréable de savoir que les tâches administratives quotidiennes d’une grande entreprise, comme les notifications et l’enregistrement d’une chanson, sont prises en charge. Je n’ai rien à faire, je dois simplement m’assurer que tout se déroule sans accroc », mentionne-t-elle.
En évoquant son passage à la CMRRA dans les années 1990, elle rappelle l’esprit novateur de l’organisme en matière de droits et d’administration, et notamment d’un processus qu’elle a contribué à mettre en place pour rationaliser la gestion des litiges relatifs aux redevances.
« Nous avions mis en place un système qui envoyait automatiquement une lettre à tous les éditeurs impliqués dans un litige concernant les droits d’auteur, leur indiquant que la CMRRA n’était pas l’arbitre, mais qu’elle conserverait toutes les redevances jusqu’à ce que les droits sur la chanson soient réglés, se souvient-elle. Grâce à la technologie actuelle, les étapes du processus de la CMRRA sont bien sûr plus sophistiquées aujourd’hui, mais cette première étape a grandement contribué à accélérer la résolution des litiges. »
Mme Beavis souligne que la campagne menée à la fin des années 1980 pour faire passer le taux des redevances mécaniques au Canada au-dessus de deux cents a marqué un tournant dans l’histoire de la CMRRA. Cette campagne ouvrait en effet ainsi la voie à des négociations directes entre les éditeurs de musique et les maisons de disques.
« L’accord de licence mécanique (MLA) conclue entre la CMRRA et les éditeurs a entraîné un changement considérable. Cela a vraiment contribué à faire connaître la CMRRA et lui a permis d’attirer beaucoup plus de membres directs », remarque-t-elle.
Selon elle, l’esprit visionnaire de la CMRRA est essentiel pour relever les défis posés par les technologies en constante évolution, telles que la diffusion en continu et l’intelligence artificielle.
« La CMRRA et le reste de l’industrie musicale sont confrontés à une transformation majeure et imprévue, car les ventes de disques ont considérablement diminué et le streaming a changé la donne. Aujourd’hui, l’industrie s’intéresse de près aux droits d’adaptation et de synchronisation, en particulier avec Netflix et les différents services de diffusion en continu. »
« La concurrence semble désormais plus mondiale : licences directes, droit international de la propriété intellectuelle, intelligence artificielle. Tout cela est encore à ses balbutiements et nous ne savons pas vraiment où cela va nous mener. La CMRRA suit de près les droits en jeu au Canada et se tient prête à y faire face dès que les accords seront conclus. »
En repensant au bagage acquis à la CMRRA, Mme Beavis évoque un moment particulièrement mémorable lié à un litige concernant un échantillon lorsqu’elle travaillait chez Nettwerk. Un groupe de folk canadien signé chez le label avait brièvement fait référence à une chanson populaire d’un groupe britannique de renommée mondiale dans le dernier couplet de sa chanson.
Responsable des affaires commerciales pour le label et la division édition à l’époque, elle a entamé des négociations avec les éditeurs de l’autre groupe, qui ont rapidement exigé 50 % des droits sur la chanson, malgré l’utilisation partielle. Cependant, en examinant le contrat du groupe folk, elle a constaté qu’il comportait une clause de composition contrôlée limitée à 12 chansons, alors que leur album n’en contenait que 11.
« Ayant dû lire de nombreux contrats d’artistes à la CMRRA pour comprendre le fonctionnement de l’entente de licence mécanique, j’ai préconisé une solution qui consiste à accorder une licence pour la chanson en tant que titre distinct, en accordant à l’autre groupe un pourcentage sur la nouvelle œuvre afin qu’il touche l’intégralité des redevances mécaniques, mais sans droit d’auteur sur la chanson bonus », explique-t-elle.
Cette solution créative reflète le type de réflexion intelligente, agile et approfondie que la CMRRA encourage au sein de son équipe. Selon Mme Beavis, c’est cette approche qui permettra à l’organisme de poursuivre sa progression.
« La CMRRA continue d’élargir ses horizons, car elle doit garder une longueur d’avance, conclut-elle. Et, en tant qu’éditeurs et sociétés de gestion collective, nous devons nous assurer de nous adapter rapidement pour tout ce qui touche à la protection de nos droits. »