
Par Nick Krewen
Lorsque la Commission du droit d’auteur du Canada a finalement approuvé le premier tarif mécanique de radiodiffusion pour les éditeurs de musique proposé par l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (CMRRA) en 2001, Lisa Freeman était parmi les personnes qui ont travaillé sans relâche pour atteindre cet objectif.
Mme Freeman travaillait alors pour Paul Audley & Associates Ltd., une société de recherche et de conseil spécialisée dans les industries culturelles, établie à Toronto. La société Audley avait été engagée par la CMRRA et la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) pour son expertise en matière d’évaluation — Mme Freeman était alors chargée d’aider à établir la valeur des reproductions d’œuvres musicales pour le résultat net des radiodiffuseurs.
À l’époque, des centaines de stations de radio commerciales canadiennes avaient contesté le tarif proposé par l’intermédiaire de l’Association canadienne des radiodiffuseurs, soutenant que les copies d’œuvres musicales réalisées ne présentaient aucune valeur ajoutée. « Les stations de radio payaient déjà pour les droits de diffusion des contenus, se souvient Freeman. L’argument était que les seuls paiements dus aux détenteurs et détentrices de droits concernaient la diffusion, car toutes ces copies “techniques” n’étaient utilisées que pour la diffusion. La tâche de Paul Audley consistait à démontrer l’importance économique réelle pour les radiodiffuseurs de pouvoir produire et utiliser ces reproductions. »
Mme Freeman rappelle qu’ils avaient engagé un économiste, un expert en marketing et un expert technique, recueilli des éléments de preuve auprès des radiodiffuseurs eux-mêmes et analysé les chiffres : « Nous avons analysé le ratio de musique et de discussions dans les programmes des stations de radio commerciales et avons pu démontrer la valeur et l’importance accrues de la musique pour attirer et fidéliser l’auditoire ainsi que les annonceurs, qui sont la pierre angulaire des activités des radiodiffuseurs. »
La spécialiste estime que les preuves présentées à l’audience sur les tarifs ont joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission du droit d’auteur d’imposer pour la première fois aux radiodiffuseurs commerciaux l’obligation de payer une redevance aux éditeurs de musique pour la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Plus de 150 millions de dollars de redevances ont ainsi été perçus et versés aux titulaires de droits.
« Il fallait montrer que le droit de reproduction est un droit distinct qui a sa propre valeur et qu’il constitue un droit exclusif. C’est là que la CMRRA a toujours démontré son leadership en insistant et en sensibilisant tout le monde, des éditeurs de musique eux-mêmes à la Commission du droit d’auteur, en passant par le gouvernement, d’insister Mme Freeman. Personne ne devrait jamais faire de copies d’œuvres musicales sans autorisation. C’est aussi simple que cela. Si une copie n’avait aucune valeur, eh bien, personne ne la ferait. »
Depuis l’instauration de ce tarif, elle a continué de collaborer avec la CMRRA. Elle occupe actuellement le poste de directrice générale de la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP), dont la CMRRA est membre fondatrice. En 1997, un amendement additionnel à la Loi sur le droit d’auteur a permis à la CMRRA d’instaurer une redevance pour les auteurs, auteures, compositeurs, compositrices, interprètes et producteurs, dont les œuvres musicales, interprétations et enregistrements sonores admissibles étaient copiés par des particuliers canadiens pour leur usage personnel.
La SCPCP, fondée en 1999, a pour mission de collecter et de redistribuer la redevance pour copie privée (droits d’auteur) aux auteurs-compositeurs, auteures-compositrices, éditeurs de musique, interprètes et producteurs d’enregistrements sonores. Pour plus d’informations sur la SCPCP et ses membres, cliquez ici.
Bien qu’ils aient réussi à obtenir la redevance pour copie privée sur les supports d’enregistrement audio vierges en 1999, les formats de produits physiques couverts par la redevance étaient forcément ceux qui étaient courants à l’époque, il y a environ 25 ans : cassettes audio analogiques, CD-R audio, CD-RW audio, MiniDisc et CD-R/CD-RW. En raison d’une décision de la Cour d’appel fédérale de 2005 interprétant de manière très restrictive le libellé du régime de copie privée, les redevances pour copie privée n’ont pas suivi l’évolution des technologies.
En 2004, les redevances annuelles maximales s’élevaient à 38 millions de dollars. En 2023, elles ont considérablement baissé pour atteindre moins de 500 000 $. Cette baisse s’explique principalement en raison du déclin de la popularité des CD vierges, remplacés par les lecteurs MP3, puis par les téléphones intelligents et les tablettes, devenus très populaires auprès des consommateurs.
« Lorsque l’iPod est apparu, nous nous sommes adressés à la Commission du droit d’auteur et avons fait valoir qu’il s’agissait de supports d’enregistrement audio permettant la réalisation de copies privées. La commission a accepté notre argument et a imposé une redevance sur les baladeurs numériques, rappelle Mme Freeman. Mais les entreprises technologiques qui fabriquaient et importaient ces enregistreurs audio numériques ont saisi la Cour d’appel fédérale et ont fait valoir que les lecteurs MP3 constituaient des appareils et non un support, comme le stipule la Loi. Malheureusement, la Cour d’appel fédérale leur a donné raison. Toutefois, elle a reconnu que le fait d’imposer des redevances sur les lecteurs MP3, qui causaient un préjudice sans précédent en termes de perte de revenus, était tout à fait logique. Nous nous battons depuis 20 ans pour que la copie privée soit reconnue technologiquement neutre. »
Ce long processus requiert beaucoup de patience et de détermination. « La SCPCC et ses membres ont plaidé en faveur d’une modification du libellé de la Loi sur le droit d’auteur pour y ajouter simplement les mots “et les appareils” afin que les supports d’enregistrement audio et les appareils soient tous deux assujettis à la redevance pour copie privée, explique Mme Freeman. Nous avons constaté que plus de deux milliards de copies privées non autorisées existent sur les téléphones intelligents et les tablettes au Canada. Aucun sou n’a été payé aux détenteurs de droits pour ces copies. La SCPCP a effectué une nouvelle analyse qui démontre qu’il y a environ 2,2 milliards de copies illégales. »
Mme Freeman souligne que des systèmes similaires de redevance pour copie privée existent dans une grande partie de l’Europe, notamment en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Suisse, où les redevances perçues sur les supports et les appareils sont reversées aux titulaires de droits pour la copie privée. Si le Canada décidait de mettre en place une taxe de 3 $ par téléphone ou tablette, comme en Europe, on estime que cela générerait 42 millions par an, qui seraient distribués aux détenteurs de droits.
Cette mesure s’avère d’autant plus nécessaire que la diffusion en continu a fait évoluer les mentalités en matière de musique commerciale. En effet, les consommateurs privilégient maintenant la location au détriment de l’achat, ce qui touche directement les revenus des artistes. Il est urgent de trouver de nouvelles sources de revenus pour rémunérer les créateurs, les créatrices et les sociétés de musique tandis que la SCPCP et la CMRRA continuent de se battre pour l’ajout des appareils dans le libellé de la réglementation sur la copie privée. « Depuis que je suis entrée en fonction en 2017, c’est le but premier de mon travail », admet Mme Freeman.
La modernisation du régime de copie privée est une priorité absolue pour la SCPCP. Lorsque le gouvernement a entamé sa dernière réforme du droit d’auteur, en 2017, la SCPCP, dont la CMRRA fait partie, a commencé à militer pour des modifications reflétant la façon dont les Canadiens et les Canadiennes utilisent la technologie. La Société s’est engagée à poursuivre ses efforts pour défendre une solution équitable et tournée vers l’avenir.
« Lorsque des redevances sont versées, leur distribution est évidemment très importante, insiste Mme Freeman. Depuis sa création, la CMRRA s’est toujours engagée à mettre en œuvre une méthode de distribution efficace au sein de la SCPCP. Cette détermination demeurera lorsque nous aurons réussi à percevoir des redevances sur les appareils. C’est une tâche dont la CMRRA s’acquitte avec succès depuis longtemps : s’assurer que les droits sont perçus et distribués équitablement. »
Lisa Freeman souligne également le leadership de la CMRRA dans l’octroi de licences de droits numériques, notamment CSI, sa coentreprise avec la SODRAC, qui a obtenu l’aval de la Commission du droit d’auteur pour un tarif de diffusion en ligne et de téléchargement offrant un taux de redevance de 9,9 % pour le droit de reproduction et un taux global de 17,5 % pour la période 2008-2010, l’un des plus élevés du monde dans cette catégorie.
La CMRRA est aussi à l’avant-plan des négociations d’accords de licence avec les principaux fournisseurs de services numériques, notamment Apple, Spotify, Amazon, YouTube, Facebook, TikTok, ainsi qu’avec des stations de radio et des maisons de disques, assurant ainsi une perception et une distribution efficaces des redevances.
Mme Freeman estime que les compétences remarquables de la CMRRA se manifestent par une expertise et une connaissance approfondies du marché, lui permettant de fournir des preuves pertinentes et ciblées pour susciter des changements à l’échelle gouvernementale.
« J’ai collaboré avec la CMRRA dans le cadre de la première procédure relative aux services de musique en ligne, dit-elle. Ce qu’elle a si bien accompli — et qui a permis ce flux de redevances —, c’est de fournir à ses membres ainsi qu’au gouvernement et à la Commission du droit d’auteur des données exhaustives sur l’utilisation réelle des œuvres musicales. Ces renseignements et ces éléments de preuve sont indispensables à l’ensemble du processus décisionnel devant la Commission du droit d’auteur. Il est nécessaire de mettre ces faits sur la table. La CMRRA a, dès le début, souligné l’importance des preuves. »
Elle ajoute que la CMRRA est une alliée indispensable de la SCPCP, toujours à la fine pointe de la technologie dans l’industrie musicale : « J’ai vu la CMRRA évoluer, et passer de la création d’outils internes pour traiter les distributions provenant de la radio commerciale et de la copie privée à un système sophistiqué qui gère l’énorme volume de données qu’elle reçoit des services de diffusion en continu. Il est impressionnant de voir que la CMRRA a anticipé chaque étape et investi dans ces systèmes, et ce, afin de pouvoir administrer ces droits, et percevoir et distribuer avec précision les redevances pour l’utilisation de ces droits. »
Le droit d’auteur étant un ensemble de droits, Lisa Freeman estime que chaque droit est important et doit bénéficier aux titulaires de droits d’auteur : « À la SCPCP, nous répétons inlassablement qu’il s’agit de redevances distinctes et que chacune est essentielle. En tant que titulaire de droits, vous devez vous débrouiller, bon an mal an, pour gagner votre vie. Que vous soyez auteur-compositeur, auteure-compositrice ou éditeur, chacune de ces sources de revenus compte. Il est faux de croire qu’une source de revenus rend inutile ou superflue la nécessité d’en avoir une autre. C’est ainsi que le système fonctionne. Vous gagnez votre vie, vous développez votre activité en percevant des redevances provenant de toutes les sources possibles. Chaque utilisation a une valeur et doit être rémunérée. »